ACTUALITÉ PRÉSENTE ET FUTURE DE LA MÉDECINE INTERNE
Professor Ciril Rozman, Titulaire de Chaire de Médecine. Professeur Émérite. Université de Barcelone.
Le XXVIIème Congrès Mondial de Médecine Interne qui vient d’avoir lieu en Espagne a stimulé chez moi la réflexion sur les profondes modifications que cette spécialité a subies et, en même temps, le désire de défendre avec enthousiasme son actualité présente et future. Il est pour moi un grand honneur que ces idées soient reproduites sur la page web de l’International College of Internal Medicine.
William Osler, le grand maître de la Médecine Interne de l’Amérique du Nord et mondiale, a prédit en 1897 qu’au cours du XX ème siècle, la Médecine Interne allait être la spécialité médicale la plus complète, la plus demandée et la plus gratifiante, ainsi qu’un choix, par vocation, excellent pour les étudiants de Médecine. Cette prédiction s’est accomplie mais, seulement, en ce qui concerne les deux tiers du début du siècle parce que, vers la fin, la Médecine Interne a subi des difficultés croissantes pour définir son identité et ses limites. Osler définissait l’interniste comme un généraliste pluriel et distingué. L’idée de ce qu’il s’agit d’un médecin avec une vision très large du patient , lui, il l’a soulignée employant deux mots : généraliste et pluriel. Mais, en même temps, il incluait dans sa définition, le concept de profondeur de connaissances avec l’adjectif « distingué ».
Suivant la prédiction de William Osler, le prestige de la Médecine Interne, comprise dans ces termes, a été énorme. Les internistes occupaient les charges de plus haut niveau, aussi bien à l’Université qu’à l’Hôpital, ceci lié habituellement au rôle de consultant plus prestigieux ayant, en conséquence, du succès social et économique. En somme, l’interniste avait deux caractéristiques principales : a) d’une part, étant donné sa profondeur de connaissances, il jouait un rôle de consultant du premier rang ; et b) d’autre part, étant généraliste et pluriel, il était capable d’offrir à ses patients une assistance intégrale. Au milieu des années soixante commence le processus de désagrégation de la Médecine Interne d’où sont sorties avec force, de différentes sous spécialités médicales. Le rôle de consultant de premier rang a commencé à être occupé par les sous spécialistes. Le public a oublié progressivement l’interniste généraliste, pour élever à sa place les correspondants gastroentérologues, cardiologues, pneumologues, oncologues, etc. À ceci, il s’ajoutait l’apparition d’une nouvelle figure, le spécialiste en Médecine Familiale et Communautaire qui concurrence avec l’interniste dans son deuxième aspect, c’est à dire, l’assistance intégrale, avec quoi, la fonction de l’interniste semble s’être vidée de contenu.
Avant de nous interroger sur l’actualité de la Médecine Interne, quelques précisions sémantiques s’imposent. Traditionnellement, on a distingué, dans le domaine de la Médecine Interne, deux types de professionnels : le Spécialiste en Médecine Interne Générale et le Spécialiste en une branche de la Médecine Interne ou Interniste sous spécialisé. Lorsque nous analysons les « Boards » des États Unis, les deux appartiennent au large groupe de spécialistes en Médecine Interne. L’évolution historique nous a conduit à la situation actuelle où de nombreux gastroentérologues, cardiologues, pneumologues et d’autres spécialistes ne sont plus considérés d’internistes ni par eux ni par les Internistes Généralistes. Â mon avis, il est à désirer que tous les sous spécialistes conservent, si ce n’est pas le nom, au moins la préparation et l’essence de la Médecine Interne. Et celle-ci n’est autre que la capacité de s’approcher du malade d’une manière intégrale, basée sur de profondes connaissances scientifiques. Pourtant, il est évident que la réalité actuelle nous force, lorsque nous nous interrogeons sur l’actualité présente et future de la Médecine Interne, à nous centrer exclusivement sur son versant général.
Autrement dit, Dans l’avenir ¿ Le Spécialiste en Médecine Interne Générale, c’est à dire l’interniste, va-t-il être nécessaire ? ou ¿s’agit-il, tel que quelques uns l’ont signalé, d’une figure en voie d’extinction ?
Je ne voudrais pas que, dans cet exercice toujours risqué de futurologie, les sentiments et les désirs surgis des vécus du siècle dernier m’envahissent. À partir de la conviction de ce que la situation vécue par les grands maîtres de la Médecine Interne qui nous ont précédé ne va pas se répéter, je parie pour l’actualité future de la Médecine Interne. Mes arguments sont deux : a) la capacité de l’interniste pour l’exercice de notre profession dans son sens le plus large ; et b) les raisons économiques.
L’interniste est le spécialiste le mieux préparé pour offrir à son patient une assistance intégrale. Un malade n’est pas la simple somme de systèmes organiques différents que chaque spécialiste est capable de disséquer dans l’aspect que lui est propre, mais un être humain avec sa complexité bio-psycho-sociale. Ses divers appareils ou systèmes biologiques sont liés entre eux et ils se voient influencés, en outre, par les versants psychiques et les circonstances sociales. Grâce a sa préparation et à son orientation généraliste, l’interniste est particulièrement idoine pour comprendre le patient en tant que personne et pas seulement en tant qu’un organisme malade.
Actuellement, il est très en vogue la médecine basée sur l’évidence laquelle, en réalité, il serait mieux d’appeler basée sur la constatation, parce que ce qui est évident n’a pas besoin de démonstration. Il s’agit d’un mouvement louable, puisqu’il prétend que nous, les médecins, nous prenions nos décisions sur la base des données scientifiques. Dans l’exercice clinique, il est difficile de pouvoir mesurer avec exactitude tous les problèmes du patient. Pour cette raison, il y a des mouvements qui prétendent opposer la médecine basée sur l’évidence à la médecine basée sur la complexité. À mon avis, l’exercice clinique devra toujours être réalisé avec une certaine incertitude. Généralement, l’interniste possède l’art clinique nécessaire pour prendre des décisions idoines dans des situations complexes de multi morbidité et d’incertitude.
La dimension économique constitue une caractéristique que l’on ne peut pas oublier dans le contexte actuel de la salubrité. Les raisons économiques renforcent actuellement la figure de l’interniste aux États Unis et il est à espérer qu’il arrivera de même en Espagne lorsque les critères d’efficacité seront appliqués aux différents professionnels de la Médecine. Un bon interniste est capable, tout seul, de résoudre de nombreux problèmes du patient, lesquels exigeraient l’intervention de différents spécialistes avec, en conséquence, un renchérissement de l’assistance.
En somme, j’ose augurer que l’interniste continuera à être indispensable car il est capable d’offrir, mieux que personne, une assistance intégrale au patient et, par conséquent, plus satisfaisante pour lui ; de se débrouiller dans le domaine de la complexité et de l’incertitude avec de l’art clinique et de développer sa tâche d’une manière efficiente dans le domaine économique.
(Note de 2005)